
Crédit photo : Patrice Normand – www.patricenormand.com
Le 20 avril 2015, CulturePolitique.net avait rencontré, pendant trois heures, le sénateur réunionnais, alors doyen de la Chambre haute. Aujourd’hui, à l’heure de sa disparition ce 12 novembre 2016, retour, en dix articles, sur un quasi-siècle de vie. Cinquième épisode : les retrouvailles avec son frère Jacques.
Quand avez-vous fini par vous retrouver avec votre frère Jacques ?
Quand je suis rentré à Paris, j’ai fait des recherches, et j’ai appris qu’il était à Vincennes car il avait été blessé par un éclat d’obus. Mon frère était sergent artilleur et faisait partie du débarquement en Provence du 25 août 1944, puis a été détaché en cours de route pour traiter la poche de Royan. Il était révolté : « Il aurait suffi d’attendre ! Les Allemands se seraient rendus ! Tout ça pour un général qui voulait son fait de gloire. »
On se revoit donc à Vincennes, on fraternise, on se dit : « On est vivants ! », et on envoie un télégramme à notre père pour le prévenir. On ne s’en était pas rendu compte quand on était parti – le pater était très pudique – mais aujourd’hui, mon dernier souvenir avant notre départ, c’est sa grande silhouette sur le quai qui nous dit : « Bonne chance ! » Il réagissait comme un père qui voyait partir ses deux fils qui avaient des fortes chances d’être tués. Du coup, notre message l’a tranquillisé.
« Encore une fois, c’est mon père qui m’a aidé avec tout ce qu’il m’avait raconté ! »
Au lendemain de l’armistice, votre père est élu député. Avez-vous participé à sa campagne ?
Il se dit qu’il y a une étape de décolonisation à réaliser pour unir le maximum de Réunionnais et constituer alors une grande union de progressistes de l’élite intellectuelle de l’île. Rassembler tout le monde, ce n’était pas pour avoir des postes, mais simplement pour dire que le moment était venu pour continuer la destinée de La Réunion et transformer la colonie en département. Élu à l’Assemblée constituante, mon père et les autres adhèrent au groupe communiste sans en être membres. Dans ces conditions, le Parti communiste français veut, comme en Guadeloupe et en Martinique, créer une fédération à La Réunion. Dès mai 1947, on crée une organisation qui regroupe tous ces gens. La centrale parisienne m’enrôle dans le même temps dans la section coloniale parce que c’est toute l’Afrique dont il est question. Rappelez-vous qu’à l’époque, le PCF était le premier parti de France et avait beaucoup de parlementaires. J’ai ainsi participé à toutes les discussions, avec les représentants des colonies, qui ont abouti à la formation du Rassemblement démocratique africain, au congrès de Bamako. Le RDA a rayonné pendant toute cette période sur l’Afrique occidentale. Ses dirigeants étaient Sékou Touré (premier président guinéen – NDLR) et (père de l’indépendance ivoirienne – NDLR).
En 1946, au cours d’une contre-manifestation menée par votre père à un rassemblement de l’opposition, votre principal adversaire est tué par balle, vous êtes accusé de meurtre et finalement vous écoperez d’une peine de prison avec sursis…
C’est interdit (la disposition de la loi de 1881 a été censurée par le Conseil constitutionnel en juin 2013 en réalité – NDLR) d’en parler – j’ai été amnistié – mais enfin, ce jour-là, vous aviez une droite surexcitée qui m’a impliquée dans l’affaire. Ce complot s’est terminé à Lyon avec ma libération immédiate et encore une fois, c’est mon père qui m’a aidé avec tout ce qu’il m’avait raconté. Lors de la reconstitution sur cet endroit en pente à Saint-Denis, tous les témoins, pour ou contre, me placent à un endroit, et la victime à un autre emplacement. Ce à quoi j’ai déclaré : « La balistique vous condamne. Là où je suis, pour le toucher au cœur, il faut qu’il n’y ait personne entre lui et moi, sauf que vous mettez toute cette foule. Comment aurais-je pu tuer quelqu’un avec ces gens autour ? » Cela a convaincu tout le monde. Ils ont compris que ce n’était pas possible.
Propos recueillis par César Armand – Tous droits réservés CulturePolitique.Net