Retour sur deux jours de peur et de terreur.

Dix morts. Dix morts de trop. Dix mots de trop. Ce sont les premiers mots qui me viennent mercredi midi. Abasourdi. Sourd. Qui veut entendre ça ? Depuis, le bilan s’est alourdi. Treize morts, entre Charlie Hebdo et la policière municipale tuée hier à Montrouge.
Trop de maux. Trop de douleurs. Ce mercredi 7 janvier 2015, il est 11h55 à l’hôtel du ministère de la Fonction publique et de la Décentralisation. Marylise Lebranchu a invité les journalistes à midi pétantes pour discuter des dix nouvelles nouvelles métropoles.
Au deuxième rang, juste derrière, le chef d’un quotidien régional téléphone : « Quoi ? Une fusillade à Charlie Hebdo ? » Regards incrédules, frissons, oreilles dressées. A gauche : « J’ai pas de smartphone, mais on vient de m’envoyer par SMS : 10 morts, 5 blessés. »
A la dernière rangée, un JRI nous voit rivés sur nos portables : « Qu’est-ce qui se passe ? » Je hurle : « Fusillade à Charlie Hebdo. DIx morts. » Les alertes tombent qu’à l’instant. Les facebookeurs et/ou twittos s’affairent sur leurs écrans. Le drame est réel, quasi-irréel.
Plus de souffle d’exaspération car l’attente est trop longue. Les regards sont blancs. Les teints livides. Les bouches décomposées. La ministre arrive à 12h10, les yeux rivés sur son téléphone ; François Hollande vient, lui, d’arriver au siège de l’hebdomadaire satirique.
Marylise Lebranchu s’excuse pour son retard : « Je suis désolée… Je suis comme vous ce qui se passe. C’est dramatique ce que nous vivons. C’est effroyable. Je ne trouve pas les mots. »
Elle embraye malgré tout : « Je voulais vous parler des métropoles le 1er janvier, mais on m’a dit que ce n’était pas une bonne idée. » La salle, en apnée depuis dix minutes, rigole, ravie de lâcher prise et d’oublier la tragédie, ne serait-ce que quelques secondes.
Dans la foulée, départ pour un café à proximité. Pas de télévision. Juste un café et un sandwich. Peut-être une cigarette, mais non. Mon portable recharge ses batteries de l’autre côté du comptoir. Il n’est pas le seul. Tout le monde discute, K-0 debout.
Soudain, l’info tombe : un policier puis deux, puis Charb, Cabu, Wolinski… Le patron appelle sa copine, en charge de la protection d’un haut-magistrat. Le vouvoiement tombe, le tutoiement s’impose. Unité nationale.
Je sors. Besoin d’air. Pollué mais de l’oxygène quand même. Trois appels en absence de la fiancée. Elle va bien. Ouf. Cinq appels en absence d’une amie de promo. Elle habite à proximité. Je m’invite. Nous nous droguons à I-Télé. Deux heures, puis on sort s’aérer.
Hier, j’ai conduit. Deux heures entre Paris et la petite couronne. La peur au début de voir la voiture d’auto-école confondue avec un véhicule de police. Peur de ces dégénérés qui réussissent à nous apeurer. Pas d’accident, nous rentrerons à bon port.
Après-midi chez les collègues et petite halte place de la République. Un ancien conseiller du Président de la République ne veut pas parler aux confrères et consoeurs. Des maires d’arrondissements parisiens se mêlent aux anonymes.
Nous posons tous un crayon. Nous ne déposons pas les armes. Nous leur donnons un outil de travail. Partis sans avoir pu emmener quelque bagage que ce soit où qu’ils soient.
Dans le TGV pour Strasbourg ce matin, le cahier précède l’ordinateur. Plus facile de biffer, de changer un mot ou de barrer une phrase inutile. Je repense au SMS optimiste et matinal d’un très bon ami : « Ca va ! On est en vie ! Profitons-en ! »
César Armand