
Crédit : Patrice Normand – www.patricenormand.com
Le 20 avril 2015, CulturePolitique.net avait rencontré, pendant trois heures, le sénateur réunionnais, alors doyen de la Chambre haute. Aujourd’hui, à l’heure de sa disparition ce 12 novembre 2016, retour, en dix articles, sur un quasi-siècle de vie. Troisième épisode : la Seconde guerre mondiale.
Comment avez-vous vécu ce premier engagement, d’autant plus fort que c’est la guerre ?
Notre père était un pédagogue né. Lors de la guerre civile espagnole, il était en France et participait à toutes les manifestations avec le Front populaire. Il nous avait préparés à la guerre contre le fascisme et le nazisme. On était prêts à franchir le pas. Cela lui a beaucoup coûté, mais il nous a tout de suite soutenus quand on a voulu partir. De Gaulle avait envoyé un navire à La Réunion car les Anglais étaient à Madagascar. Il se trouve que le gouverneur que de Gaulle avait envoyé à Tananarive était le général Gentilhomme que mon père avait connu au Vietnam ! Le pater lui a dit que nous nous étions engagés et lui a demandé qu’on parte au plus vite, si bien qu’on a été les premiers à quitter La Réunion sur un vieux remorqueur sur laquelle il y avait les deux filles d’un colonel qui étudiaient à La Réunion, un autre étudiant malgache, Jacques et moi. On est arrivés à Madagascar, on a attendu des fils de colons qui s’étaient portés volontaires, puis on a changé de bateau et on est partis pour Durban en Afrique du Sud pour un camp où il y avait des Sud-Africains, des Polonais faits prisonniers par les Russes et des Français d’après la bataille de Bir Hakeim. Au bout d’un mois, le nouveau convoi est arrivé et on a atteint Le Cap avant de rallier Londres. Du bateau, ils grenadaient les sous-marins allemands qui passaient juste en dessous. Il arrivait aussi qu’on balance par-dessus bord les victimes de la malaria sans aucune cérémonie. C’est là qu’on s’est rendu compte qu’on était en guerre. Je me souviens également des fils de colons français qui regardaient les dockers anglais en disant : « Regarde, ils sont blancs et ils travaillent ! » Pour eux, c’était inimaginable et ce réflexe colonial nous avait frappés avec Jacques.
» Nous nous sommes séparés sur un pari idiot. «
Pourquoi vous êtes-vous séparés en Angleterre avec votre frère Jacques Vergès ?
On finit par arriver à Londres dans un camp où tous les volontaires de la France libre – qui venaient de l’Amérique latine au Liban – étaient interrogés pour savoir où ils allaient être affectés. Nous nous sommes pourtant séparés sur un pari idiot. Nous étions tout jeunes mais avec un dossier scolaire très riche et les officiers nous ont proposé de partir à l’école des cadets de la France libre : « Vous avez le profil pour devenir élèves officiers. Au bout d’un an, vous serez aspirant. » J’ai aussitôt répondu que j’étais prêt, alors que Jacques, vraiment sur un pari idiot, m’a dit : « Si tu embarques là, tu vas être bloqué. Moi, je veux voir la guerre en face. » Il a quitté Londres et il est parti en Afrique où il a été enrôlé dans les troupes de la France libre. Moi, j’ai donc fait l’école d’officiers et avec quelques-uns de nos amis malgaches, on partait en congés chaque week-end à Londres. Il y avait là-bas un représentant du Parti communiste français, qui a ensuite été un des responsables du Gouvernement provisoire du général de Gaulle, qui regroupait autour de lui ceux qui gravitaient autour de cette sensibilité.
Vous-même avez-vous pu véhiculer les idées du communisme à l’école des officiers ?C’est surtout lui qui m’a aidé à parfaire mon éducation. Nous avons été la seule école des officiers à être intégrée à Saint-Cyr après la guerre car nous étions les uniques officiers de De Gaulle. À la sortie de l’école, pendant la guerre, nous avions le choix des armes selon notre rang de classement : les premiers étaient fascinés par la 2ème DB mais moi, j’ai choisi les parachutistes dans les services spéciaux de De Gaulle.
Propos recueillis par César Armand – Tous droits réservés CulturePolitique.Net