Gisèle Casadesus dans son appartement le mardi 25 mars 2014 – Tous droits réservés CulturePolitique.net
La comédienne fête ses 100 ans aujourd’hui ! En un siècle d’existence, Gisèle Casadesus a joué plusieurs rôles : fille, soeur, épouse, maman, grand-mère, arrière-grand-mère, et même, arrière-arrière-grand-mère… Fin mars 2014, à la veille de son centenaire, c’est une femme humble et drôle qui reçoit Culture Politique dans son bel appartement montmartrois.
Comment allez-vous madame aujourd’hui ? La santé est très bonne, heureusement ! J’ai la chance d’avoir une bonne santé. Merci papa, merci maman, merci mon Dieu ! Je n’ai pas d’infirmités dues à mon grand âge. Mes enfants ont toujours peur que je me promène seule, car jusqu’à peu, je prenais encore le bus toute seule. Aujourd’hui, on vient de me chercher en voiture, ça arrange tout.
Vous êtes née ici si mes informations sont exactes… Je suis née dans cet immeuble au 5ème étage dans l’autre escalier. Quand je me suis mariée, j’ai eu la chance d’avoir cet appartement, de l’autre escalier, au même étage, si bien que je l’ai fait correspondre avec celui de mes parents. Aujourd’hui, c’est mon fils aîné Jean-Claude qui l’a repris. J’ai la chance qu’il ne soit pas loin. Une de mes filles est, elle, au-dessus. Un autre fils est aussi à Montmartre. Pour mon autre fille, je dis toujours « Elle habite loin. » On me répond : « A l’étranger ? » Et là, je réponds en rigolant : « Non, à Malakoff ! »
Votre père était compositeur et chef d’orchestre, votre mère harpiste. Pourquoi n’avez-vous pas embrassé une carrière musicale ? Chez les Casadesus, on apprenait ses notes avant ses lettres, mais en ayant appris mes notes, j’avais toujours dit que je voulais faire du théâtre. Naturellement, j’ai commencé par faire de la musique comme tout Casadesus qui se respecte, et je sais toujours toutes mes clés de huit, même si ça me sert à rien. Je les ai même apprises à mes fils et à mon petits-fils ! Puis quand j’ai eu seize ans, j’ai dit à mon père : « J’aimerais quand même bien essayer autre chose. » Il m’a permis de prendre quelques cours de théâtre avec un professeur.
« Mon premier professeur m’avait dit que j’avais une certaine anatomie et que j’étais bien fournie ! »
Qui était ce professeur ? C’était un jeune pensionnaire de la Comédie-Française. Il m’avait dit que j’avais une certaine anatomie, que j’étais bien fournie, que j’allais jouer les grandes coquettes, mais pas du tout ! A seize-dix-sept ans, j’ai plutôt joué beaucoup d’ingénues et de jeunes premières. On m’a présenté au Conservatoire l’année suivante pour voir, et j’ai été reçue du premier coup. A la sortie, j’ai eu un premier prix et j’ai été engagée dès le lendemain au Français.
Chez vous, la musique occupe, malgré tout, toujours une grande place. Votre aîné Jean-Claude Casadesus est chef d’orchestre, et son frère, Dominique Probst est compositeur. J’ai aussi deux petites-filles qui sont, toutes les deux, cantatrices : Caroline, la fille de Jean-Claude, et Tatiana, la fille de Dominique. Caroline est déjà en pleine carrière et Tatiana débute. Le théâtre continue aussi : j’ai une petite-fille comédienne et une autre est au Conservatoire en apprentissage.
Justement, il y a un autre comédien important dans votre vie : c’est votre époux Lucien Probst (ndlr, Lucien Pascal à la scène)… Il était ingénieur-dessinateur avant de faire le Conservatoire. Il partait très vite après la classe – au début, je ne comprenais pas pourquoi – mais c’est parce qu’il avait obtenu une permission de son travail pour suivre les cours. Alors quand il a, lui aussi, eu le premier prix à la sortie, il a fallu qu’il choisisse et il a donné sa démission à son bureau pour se consacrer au théâtre. Il ne l’a jamais regretté, moi non plus.
La famille, c’est sacré : « mon arrière-petite-fille a un petit bonhomme de deux ans »
Il vous a accompagnée ici jusqu’en 2006… Oui, il est mort à 100 ans.
Quelle longévité ! Oh, vous savez, mon frère aîné Christian vient de mourir à 101 ans. On l’a enterré il y a huit jours. On n’a pas eu la même vie, mais nous nous aimions énormément, et nous étions très attachés l’un à l’autre.
Que faisait-il dans la vie ? Il avait aussi été dans le théâtre. Quand il était jeune, il avait créé la Compagnie du Regain, il tournait beaucoup avec Marcel Lherbier. Il avait aussi fait partie d’un film qui s’appelait Hôtel des étudiants qui s’est tourné uniquement avec des jeunes et dans lequel il tenait l’un des rôles principaux.
Les Casadesus, c’est aussi une tribu… C’est un bien grand mot !
Tout de même : vous avez quatre enfants, huit petits-enfants, neuf arrières-petits-enfants… Et même un arrière-arrière-petit-fils ! Mon arrière-petite-fille a un petit bonhomme de deux ans qui s’appelle Axel. Ca fait du monde à Noel ! On est souvent en contact. Ils prétendent d’ailleurs que je suis le socle, la liaison. On reste très unis, oui.
L’administrateur de la Comédie-Française à son père : « J’espère que vous avez de quoi la nourrir… »
Parlons maintenant, si vous le voulez bien, de l’artiste Gisèle Casadesus. En 1934, après le Conservatoire, vous entrez à la Comédie-Française. Oui, c’est mon père qui a signé mon engagement au Français le lendemain de mon premier prix car je n’étais pas encore majeure. L’administrateur de l’époque lui avait dit, avec un accent du Midi, alors que, paraît-il, il venait de Strasbourg : « J’espère M. Casadesus que vous avez de quoi la nourrir, car ici, elle ne va pas gagner grand chose ! » Et mon père de répondre : « Oh, de l’argent, vous savez, on n’en a jamais eu beaucoup, mais elle se marie dans huit jours. Cela ne me regarde plus maintenant. »
Vous êtes ainsi restée 28 ans à la Comédie-Française ! Si l’on compte les deux années de Conservatoire, ça fait trente ans.
Effectivement… Vous y avez tout joué ou presque. Quel est votre dramaturge préféré ? Molière et Marivaux sont les meilleurs pour moi.
« J’aime beaucoup Guillaume Gallienne. Il a beaucoup de talent ! »
S’agissant de Marivaux, est-ce sa pièce Le jeu de l’amour et du hasard qui vous a inspiré le titre de votre livre Le jeu de l’amour et du théâtre ? Exactement ! Et Marivaux, c’est un rythme qui correspondait à ce que je ressentais, alors que beaucoup de jeunes comédiennes, avec moi au Conservatoire, le trouvaient trop difficile. Pour moi, ce n’était pas du tout le cas, il m’a donné beaucoup d’émotions et de joie en le jouant !
Laquelle de ses pièces vous plaît particulièrement ? Le jeu de l’amour et du hasard. J’ai joué Lisette, mais j’ai présenté le personnage de Sylvia au concours d’entrée, et j’ai été reçue grâce à elle ! Très vite, au Conservatoire, quand j’étais dans la classe de Georges Le Roy, sociétaire à la Comédie-Française, il m’a plutôt dirigé vers les soubrettes de Marivaux. C’est vrai qu’il était déjà mon auteur de prédilection.
Fin 2011, cette pièce a été mise en scène au Français par le Bulgare Galin Stoev. L’avez-vous vue ? Je ne l’ai pas vue, je voulais y aller, mais cela ne s’est pas trouvé… Elle va revenir, et vous savez, il y a toujours une bonne distribution à la Comédie-Française. J’ai toujours beaucoup de plaisir à aller voir mes jeunes camarades pour suivre leur progression. J’aime beaucoup Guillaume Gallienne par exemple, il a beaucoup de talent.
Pendant l’Occupation, « on avait la chance de continuer à jouer, mais il y avait une atmosphère terrible… »
Et si vous deviez choisir un meilleur souvenir à la Comédie-Française, auquel penseriez-vous ? J’ai eu la chance de faire des créations, ce qui était encore très rare. J’ai ainsi participé à la création d’Asmodée de François Mauriac mis en scène par Jacques Copeau. Ca a été un peu le point de départ de ma carrière puisque, après ça, j’ai été nommée sociétaire et j’ai eu beaucoup de rôles. J’ai toujours joué, et toujours des interprétations importantes.
Et à l’inverse, quel est votre pire moment dans cette maison ? Il y a eu des périodes pas très drôles pour tout le monde, comme celle de l’Occupation. On avait de la chance de continuer à jouer, mais il y avait une atmosphère terrible : tout le monde se méfiait de tout le monde. On jouait à des heures désagréables, vers 18 heures, et on se dépêchait de prendre le métro. On se retrouvait avec les spectateurs qui venaient de sortir de la salle. C’était une époque dure, pesante. On a continué à exercer notre profession, les théâtres regorgeaient de monde puisque les gens n’avaient aucune distraction, ils n’allaient pas voir les films allemands, le cinéma était donc assez réduit, et le théâtre marchait très bien. C’était à la fois une joie, un réconfort de pouvoir travailler dans ces conditions. On nous disait : « Jouer au Français, quand même ! », mais pour pouvoir écouter, il fallait connaître la langue et donc on n’avait pas l’impression qu’il y avait beaucoup de spectateurs allemands. Ce n’était pas comme à l’opéra où il y avait une marée verte…
Ce que vous racontez me replonge dans le film de François Truffault, Le dernier métro, dont l’un des rôles principaux est tenu par votre partenaire de La tête en friche, Gérard Depardieu. Ah un homme charmant, très gentil ! C’est mon gros nounours. Ca a été un tournage très sympathique.
César Armand