
Crédit photo : Patrice Normand – www.patricenormand.com
Le 20 avril 2015, CulturePolitique.net avait rencontré, pendant trois heures, le sénateur réunionnais, alors doyen de la Chambre haute. Aujourd’hui, à l’heure de sa disparition ce 12 novembre 2016, retour, en dix articles, sur un quasi-siècle de vie. Sixième épisode : la politique au côté de son père Raymond.
Vous-même, vous avez échappé à quelques tentatives d’assassinat…
La première fois était lors de l’élection de François Mitterrand à l’Élysée. Son fils Jean-Christophe est venu faire campagne dans le sud de l’île près de la Grande Ravine et on m’a tiré dessus. C’était très net que celui qui a ouvert le feu me visait. Nos regards se sont croisés. Sa balle a tapé le pare-brise mais pas moi. Quand on s’est arrêté dans le virage suivant, j’ai dit à mes camarades : « On le poursuit ! », mais « Papamadit » m’a dit : « Surtout pas ! Tu sais qu’avec les histoires d’attentats, mon père en a subi et je ne veux pas qu’il y ait la même chose… » Plus tard, il y a quelqu’un qui m’a dit : « Si c’est Jean-Christophe qui avait été tué, son père aurait été élu tout de suite. » Quel raisonnement ! C’est arrivé une deuxième fois où un bâton de dynamite a explosé dans le pot d’échappement. L’intention était criminelle, mais son auteur n’était pas un spécialiste. Cela fait peur, mais c’est tout. Voilà comment se sont passées ces choses-là.
Vous êtes élu conseiller général en 1955, puis député en 1956.
Je rentre à La Réunion un an avant, en 1954. Il y a alors une crise du Parti communiste réunionnais. Le PCF envoie ses responsables sur place qui échouent à redresser la situation. L’un d’eux leur dit : « Pourquoi gardez-vous Paul à la section coloniale ? Envoyez-le à La Réunion ! » J’étais marié et ma femme était la secrétaire particulière de Laurent Casanova, le responsable des intellectuels au PCF. Elle les a tous connus à l’époque, et pas seulement Louis Aragon et Elsa Triolet. Laurent Casanova comme mon épouse, qui devait me suivre, résistent : « Ne le laissez pas partir ! Vous allez l’enfermer sur cette petite île alors que manifestement, il peut avoir un rôle national, car il est cadre. » Finalement, je rentre à La Réunion avec Laurence et nos deux filles. Les usines sucrières sont alors concentrées par de grands propriétaires terriens. Or ils avaient décidé à Saint-André, où il y en avait quatre, de fermer l’une d’entre elles.
« J’ai été propulsé comme le vainqueur des sucriers ! »
Votre père vous cède alors son siège ?
Pas du tout ! Il était maire de Saint-André et son secrétaire général, qui avait été dans ma classe au lycée, m’appelle un jour en me disant : « Les banques disent que c’est terminé. Il faut déposer le bilan et rembourser. C’est foutu ! Peux-tu nous aider ? » Sauf que cela me pose un problème personnel important : le propriétaire de cette usine était, en 1936, candidat aux élections législatives et avait mené une campagne de diffamation contre mon père avec cette phrase : « Raymond Vergès n’est pas un ancien combattant, il était planqué en Indochine pendant toute la guerre, y a assassiné sa femme et l’a envoyée par colis en Chine ! » Le soir, un autre sucrier, gendre de sénateur et ancien camarade de classe de mon père, l’appelle et lui dit : « Tu sais très bien ce qui nous sépare politiquement, mais ce qu’il a écrit à l’époque est indigne. Je sais que tu as fait la guerre, tu es décoré et tu ne peux pas laisser faire. Porte plainte. » Mon père ne voulait pas et j’ai donc décidé de porter plainte et de le citer comme témoin. Le propriétaire de l’usine est condamné à une très lourde amende et mon père ne sachant quoi faire de l’argent récupéré, le place au Trésor et demande à créer des bourses à tous ceux qui ont réussi le certificat d’études. L’histoire se termine au tribunal de commerce. 92 % des 17 000 planteurs, suivis par les banques, votent pour un concordat, à tel point que l’éclat dans l’île a été extraordinaire et que j’ai été propulsé comme le vainqueur des sucriers. Arrivent les élections et tous les camarades disent que je dois être candidat. Je leur rétorque : « Il n’y a qu’un seul député, c’est mon père Raymond Vergès ! » Je dis à mon pater qui m’a toujours impressionné par toute sa vie qu’il doit se représenter. Il me répond : « Écoute, je suis ingénieur agronome, je suis ingénieur des chemins de fer, je suis médecin, et je dois te dire que s’il y a un nouveau mandat, je ne le terminerai pas. Je le sais. Je remercierai tous les camarades qui me demandent de continuer, mais je m’arrête. »
Il savait qu’il était malade ?
Oui, et un an après, en 1957, il est mort. Cette élection à la proportionnelle a été un triomphe à La Réunion si bien qu’on a eu deux députés sur trois et que sur toute l’île, on a gagné 52 % des voix. C’est là qu’est partie la renaissance du Parti communiste à La Réunion, mais c’est là aussi qu’ont commencé nos malheurs. Suite à cette victoire, ça a commencé par le limogeage du préfet alors qu’il n’y était pour rien. Puis son successeur a fait dissoudre toutes nos mairies.
Ou comme l’ex-Premier ministre Michel Debré qui, après avoir perdu en 1962 en Indre-et-Loire, se parachute à La Réunion en 1963…
C’est parti d’un sénateur réunionnais qui dit à Michel Debré qu’il y a une place à La Réunion aux élections et que s’il vient, il sauvera l’île d’une révolution cubaine. J’ai toujours en tête un article du Nouvel Obs dans lequel Debré dit : « Je viens à la Réunion pour lutter contre le communisme… » Il est venu, il a bourré toutes les urnes, car sinon il aurait été écrasé. C’est à la même période que les ordonnances ont expulsé des fonctionnaires, dont l’attitude était de nature à troubler l’ordre public.
Propos recueillis par César Armand – Tous droits réservés CulturePolitique.Net